Tellement prévisible…

Il y a quelques années dans notariat 2000, j’évoquais “en rève” le fait que le notariat, croûlant sous les contraintes, était sans cesse comparé à d’autres professions moins oppressées, et que cette comparaison, organisée comme une “course” nous obligeait à courir en portant un sac à dos énorme, sur du sable, avec des boulets attachés aux chevilles, face à des adversaires (à l’époque les avocats) qui bénéficiaient d’avantages que personne jamais ne voulait – ou pouvait – constater…

Aujourd’hui, on pourrait dire que la situation s’agrave encore, puisque la course – antérieurement un relais – prend une nature différente, l’équipe notariale se trouvant à son tour divisée…Ce n’est plus le relais “quatre fois sans maître” dont nous devons prendre le départ mais le “10.000 maîtres plat”, en attendant pour bientôt “le 20.000 maîtres (en) marche”

Et bien sûr, le même phénomène se reproduit…En pire !

Certains notaires, individuels et ruraux en grande majorité feront la course seuls en portant la charge d’un passé que certains disent révolu mais qu’il leur est impossible et interdit de “poser”…Charge financière d’un Office acheté pour un prix fixé par l’Etat, charge de matériel acquis et personnel recruté en fonction d’une situation claire et lisible qu’on vient de brouiller, charge d’archives (75 à 100 ans, sans parler des refus par les archives départementales qui laissent les notaires gérer cet encombrant fonds documentaire qu’elles ne peuvent accueillir “faute de place” et dont la dématérialisation-stockage est financièrement hors de portée), responsabilité civile d’un passé déjà lointain, etc…Le tout en étant obligé de réduire leur alimentation et leur préparation du fait de l’écrêtement tarifaire, chichement et provisoirement compensé par les “largesses” de la profession.

D’autres, continueront à courir dans des conditions normales, ou presque, en répartissant entre eux, à plusieurs, le poids supporté seul par les premiers et en bénéficiant de la légendaire “péréquation entre les revenus gros actes et les pertes des petits“, mais eux aussi porteront le poids des charges, archives, et responsabilités.

D’autres continueront à courir dans des conditions très favorables, en chaise à porteur, propulsée par du personnel qualifié jusqu’en 2020 au moins, et du haut de leur attelage, penseront avoir une meilleure vision de l’avenir de la profession, qu’ils distilleront aux deux premiers groupes. Il est vrai qu’avec la suppression du plafonnement DSK, et grâce aux conseils détachés et activités libéralisées, ils pourront s’offrir, ainsi qu’à leurs porteurs les meilleures conditions de préparation et les mets les plus riches pour  la compétition. Ils portent certes le poids financier (mais avec un rendement maximal), les archives (mais en dématérialisant ils en réduisent proportionnellement le coût) et la responsabilité (mais du fait d’une franchise plafonnée à 15.000 € n’en ont quasiment aucune crainte !), mais ils ont toujours de la ressource, soit en réduisant leur poids, soit en utilisant les meilleurs matériels…

D’autres enfin, arrivent sur le champ de course. En apparence fragiles, car solitaires, ils sont pourtant très avantagés. Jeunes (c’est toute l’idée de la Loi Macron) bien entrainés (aux frais et avec l’expérience des anciens coureurs) légers (ils investissent dans le strict nécessaire) sponsorisés (les notaires peuvent maintenant bénéficier de l’aide de financiers, ce qui n’était pas le cas antérieurement) ils ne portent que peu de poids (pas d’investissements, pas de contraintes matérielles, pas d’archives ni de responsabilité passée) ils pensent pouvoir faire la différence, et courir en tête de bout en bout…

Bien entendu, ces disparités excitent d’autant plus les rivalités et ce qui – déjà – n’était pas toujours une course loyale et confraternelle, risque bien de n’avoir plus grand chose à voir avec l’ “esprit du sport”. De là à transformer un challenge sportif en “course à la mort” il n’y a qu’un pas, que je franchirai allègrement en pensée.

Certains “actent” en effet, déjà la mort du notariat rural. Ils le font sans sourciller, ou versent parfois des larmes de crocodile…

Certains envisagent déjà un notariat libéral, automatisé et délocalisé, où seul l’honoraire aurait droit de cité. Le tarif leur semble une gêne d’un autre temps, ils ne veulent surtout pas d’un système qui favoriserait l’accès au droit pour les plus faibles en les privant de leur confort actuel.

Certains prétendent créer un nouveau notariat idéal et le clament haut et fort, avant que les sordides réalités ne les rattrapent. On leur laisse entendre qu’on va les aider, qu’ils sont attendus par une foule innombrable de clients abandonnés, et qu’ils vont se développer très rapidement grâce aux nouvelles technologies que certains se préparent à leur vendre “aux meilleures conditions”…

D’autres, mais qui ne sont pas notaires, regardent, amusés, cette équipe qui se prépare à s’autodétruire et qu’ils n’auront donc même pas à affronter dans le relais “quatre fois sans maître”…Leur soulagement se lit sur leur sourire narquois, car jusqu’à présent, et malgré toutes les contraintes, les notaires avaient toujours terminé honorablement la course.

Aujourd’hui, on peut effectivement craindre que pour le notariat, la course soit bientôt terminée.

Et si ce n’était que la fin d’une épreuve sportive, il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat et la vie du public n’en serait pas changé, mais il s’agit de bien autre chose !

“The winner takes it all“, et le public n’a aucune conscience de ce qu’il perdra lorsque nous aurons perdu la course. Comment le pourrait-il, du reste, puisque nous devons rester discrets, modérés, sages donc invisibles ?