Il va falloir faire des “concessions”…mais pas celles que vous croyez !

 

Le mot “ubérisation” fait son entrée dans le Larousse et apparemment mon ordinateur ne le sait pas encore puisqu’il surligne le mot en rouge.

Le danger du mot est qu’il est précédé de la naissance d’un concept prônant la mutualisation des services au profit de l’émergence d’une économie collaborative, concept en apparence inoffensif mais qui cache en réalité une méthode sournoise et invasive de type “cheval de Troie” tendant à pénétrer tous les secteurs de l’économie sans exception.

Au final, chacun pourrait imaginer faire le travail de son voisin sans autre difficulté que celle de la mise en place des outils nécessaire à la mutualisation des données et des services et de leur transmission instantanée.

L’institution notariale semble visée au premier chef.

Doit-elle céder, s’adapter ou bien au contraire résister à cette mise en règle conceptuelle d’un nouveau genre ?

Il fut un temps – pas si lointain – où la sécurité juridique était le gage de la stabilité économique et donc de la rentabilité.

Aujourd’hui, rentabilité et croissance riment avec compétitivité et rapidité; d’où la tentation plus marquée de faire fi des règles de sécurité et de stabilité.

Aux yeux de quelques-uns, quelle serait demain l’utilité de faire appel à un notaire si l’on considère que le contrat se suffit à lui-même et qu’il peut même être dénoncé par l’une des parties si certains critères ou circonstances économiques imprévues le lui permettent ?

Peu de personnes connaissent réellement la fonction notariale, sorte de magistrature amiable forgée au fil des siècles autour d’un socle de règles communes principalement issues du droit romano-germanique et du Code Napoléon.

Lex est quod notamus : ce que nous écrivons fait loi.

La raison d’être du notaire est l’authenticité, laquelle ne peut se réduire à la simple expression de l’authentification.

D’aucuns se réjouissent cependant – un peu trop rapidement à mon gout – de la réforme du divorce par consentement mutuel.

Quel est l’intérêt d’une réforme dans laquelle, loin de procéder à la vérification du respect de l’équilibre des intérêts des parties, le notaire se bornera à acter le principe du divorce, flanqué de deux avocats dont l’unique réflexe de conduite sera dicté par la situation de leurs clients respectifs ?

Il ne s’agit plus là de l’application des principes de l’authenticité mais d’authentification.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme écrivait Rabelais.

Qu’est-ce d’autre qu’une authentification qui n’utiliserait pas les principes de l’authenticité ?

L’on confond – une fois de plus – vitesse et précipitation.

Car si l’authenticité répond au besoin premier de sécurité juridique, c’est parce que le notaire construit son acte et en vérifie la pertinence à chaque étape de son élaboration, dans le respect de la volonté des parties, aboutissant à la convention à laquelle elles ont voulu conférer forces probante et exécutoire.

Désormais, l’on pourra dire sans risque de redondance qu’un notaire est authentificateur puisqu’il pourra tamponner quasiment sans authentifier !

C’est aussi parce que l’on confond de manière réductrice la force exécutoire liée au monopole de l’Etat avec la fonction notariale puisqu’en aucune façon le notaire ne pourra, dans cette situation, s’assurer du consentement libre et éclairé de chaque partie.

Dans cette veine, l’on pourrait aisément imaginer que l’ubérisation et la blockchain feront bon ménage.

La blockchain, sorte de registre public apparemment infalsifiable puisqu’utilisant des clés cryptographiques qui protègent les données qu’elles contiennent, semble menacer l’existence de plusieurs professions du droit et du chiffre, dont celle des notaires.

La différence entre la blockchain et les registres publics classiques tels que le cadastre, les hypothèques ou même les actes notariés, réside essentiellement dans son mode de contrôle. Comme elle n’appartient à personne – un peu comme l’ubérisation dont tout un chacun peut se revendiquer – la communauté qui l’anime en assure de fait son contrôle via la mise en application de puissants algorithmes conçus par des programmeurs, à l’origine de la création de problèmes informatiques dont la résolution par un grand nombre de vérificateurs (les mineurs) dans un laps de temps donné validera en temps réel une transaction quelconque.

Le système se régule et se sécurise par lui-même.

A moins d’une erreur plus ou moins volontaire de programmation, ou d’une corruption d’une majorité de “mineurs”, la blockchain semble infalsifiable. Il ne s’agit cependant que d’un leurre puisque si le système s’autocontrôle et se vérifie, on ne peut s’empêcher d’imaginer l’élaboration de séries d’algorithmes tendant à démontrer comme réelle une pseudo-authentification.

C’est là que ce mécanisme montre ses limites puisque, de toutes façons, l’humain doit être au départ et à l’arrivée de toutes choses.

Cet anthropomorphisme, logique en apparence, ne doit pas masquer le fait de l’existence d’un danger manifeste qu’un jour, les technologies – supranationales par définition – en viennent à supplanter les institutions humaines.

Si une série mathématique apportait la preuve que la mer est rouge en réalité et que le ciel est vert, l’on tiendrait pour vérité des inepties telles qu’on pouvait encore les admettre aux époques de Copernic et de Galilée où l’on croyait la terre plate et le soleil lui tournant autour !

A l’instar de l’acte authentique électronique, la blockchain n’est qu’un outil au service d’une communauté et doit le rester.

Dans ce cadre, la profession notariale doit anticiper l’avènement du développement crypté de manière notamment à permettre d’entrevoir l’existence de n’importe quelle convention au travers d’un mécanisme crypté d’authentification.

Car le grand danger qui plane sur le monde des affaires et du droit est bel et bien l’automatisation des conventions pouvant aller jusqu’à l’absurdité paroxysmique qui serait de les faire oublier !

L’anticipation devra se matérialiser par l’exigence de normes et de conditions transparentes et indépendantes pour l’utilisation de ces nouvelles technologies à des fins juridiques et financières.

Il faut pour cela des personnes intègres, dotées de la capacité de modifier le code algorithmique même si elles ne sont pas mathématiciennes, c’est-à-dire ayant le pouvoir d’ordonner à l’équipe technique la modification du code.

Nous, Notaires, sommes ces personnes, indéniablement, indiscutablement !

Nous sommes constamment le long du chemin de l’authenticité et pas seulement qu’à la fin, en lisant, en expliquant, recueillant et certifiant les signatures, puis enfin en conservant l’instrumentum.

L’authenticité provient de l’homme, l’authentification peut résulter de la machine.

Mais l’authenticité, c’est aussi une délégation de l’autorité publique.

Afin de parer au plus pressé et de colmater les brèches, l’Etat brade son patrimoine son seulement immobilier mais aussi économique (on l’a vu dernièrement lors de la vente de l’aéroport de TOULOUSE BLAGNAC à un consortium chinois).

Alors, pourrait-on imaginer que l’Etat monnaye ses délégations de puissance publique avec comme unique pensée son intérêt financier avant même celui de l’intérêt général ?

Pour trouver la parade, il s’agira d’être imaginatif !

Pourquoi dans ce cas n’imaginerait-on pas un traité de concession de l’authenticité au profit exclusif du Notariat dans son domaine d’intervention ?

Cette concession serait exclusive car accordée aux notaires en titre, délégataires de la puissance publique, collecteurs d’impôts (à titre gratuit, faut-il le rappeler), à charge pour la profession de gérer son tarif et de le fixer de manière autonome, de l’adapter si besoin est, et de publier le compte rendu de sa gestion chaque année. Le tarif pourrait aussi être revalorisé tous les ans afin de tenir compte de l’évolution du coût de la vie; de plus, la publication des comptes serait l’opportunité d’une communication efficace en se servant des médias nationaux et permettrait de faire le distinguo entre ce qui revient au notaire, le coût de la production des actes, et le coût fiscal…Exit alors la vilaine formule des “frais de notaire”.

Après étude de faisabilité à grande échelle, une possible redevance de concession versée par les clients sur la base d’un taux unique, proportionnel et forfaitaire, perçue par le notaire lors de la signature de l’acte, devrait en outre permettre de maintenir de façon pérenne le maillage territorial par l’application de règles de reversement qui seraient à déterminer sereinement en faisant fi des polémiques stériles quant à leur qualification.

En contrepartie de cette concession exclusive, le notariat continuerait de se moderniser (son coût de modernisation ferait partie du compte rendu annuel), d’assurer la collecte de taxes en tout genre, et de perpétuer le service public notarial, ce qui est encore le cas actuellement mais pour combien de temps ?

L’obtention de cette concession de délégation de puissance publique pourrait être un gage de stabilité et de sécurité sans égal au profit du Notariat français.

Nous sommes en droit de l’exiger.

Nous avons la capacité de la revendiquer.

Mais en avons-nous réellement la volonté ?

Loin des enjeux posés par un plan national qui ne porte d’actions que le nom, le sort de la profession toute entière ne tient plus désormais qu’à un fil.

Un fil d’Ariane qui devrait nous mener vers la tenue de véritables états généraux devant nous permettre de dresser le constat de la situation actuelle et des perspectives d’avenir mais dans un esprit de lutte et de consolidation de nos principes fondamentaux, et non de capitulation face à un pouvoir dissonant féru de novlangue et d’effets d’annonces.

Des états généraux où serait réellement posé le problème de la gouvernance sans faux-fuyant ni langue de bois avec à la clef de véritables décisions exécutoires à effet immédiat.

Alors que le plus grand congrès professionnel de France vient de se terminer où des questions cruciales ayant trait entre autres aux limites de propriété ont été traitées, posons-nous celle de savoir si le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule, lorsqu’il fut déposé par Odoacre à RAVENNE le 04 septembre 476, avait conscience qu’il était en train de vivre la fin de l’Empire Romain d’Occident.

 

Laisser un commentaire

En continuant à utiliser le site, vous acceptez l’utilisation des cookies. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous confirmez expressément ce choix.

Fermer