Une réforme pour “courir plus vite” ?
Connaissez vous Karl Kraus (1878-1936)?
Ce journaliste et écrivain Austro-Hongrois, qui s’est efforcé tout au long de sa carrière de démasquer les faux semblants, de traduire les euphémismes et dénoncer la corruption du langage véhiculés, déjà, par la presse, par la publicité, et par les nouvelles technologies industrielles qui déshumanisent l’humain (ce qui ne peut, aujourd’hui laisser indifférent, car malgré les décennies qui nous séparent ce combat se poursuit, peut-être trop mollement du reste !) a donné de notre métier une définition par analogie peu flatteuse à première lecture…
Dans “Dits et contredits” (1909) il écrivait en effet :
“La fonction de la rate doit être semblable à celle des notaires dans l’Etat : nécessaire mais superflue“.
Mais quelle est donc, au juste, la fonction de la rate ?
C’est (et le parallèle n’est pas neutre) un organe redouté par les chirurgiens pour sa fragilité. Que la rate soit endommagée, ce qui est chose facile car elle n’est qu’une éponge gorgée de sang entourée d’une fine capsule (comme notre pratique par sa déontologie ?), et vous risquez, en cas de fissure consécutive à un choc, si le diagnostic n’est pas très rapidement établi, de mourir d’une hémorragie interne incontrôlable…Mais la rate n’étant pas un organe vital, on peut, en pareil cas, la retirer comme superflue (comme le notaire indélicat diagnostiqué lors d’une inspection !) et sauver l’essentiel : la vie du patient.
Mais c’est également un organe nécessaire, qui stocke, tel un silo plus de 35 % des plaquettes nécessaires à la coagulation du sang, et surtout, des millions de combattants prêts à bondir en cas d’invasion de microbes pathogènes, véritables “gardes du corps”…Et si la rate “se dilate” parfois (passant de 300g à 1,5 kilos environ), comme dit la chanson, elle peut se contracter pour propulser dans le système sanguin ces renforts puissants.
Comme les politiques pour le notariat, certains scientifiques (faut-il préciser qu’il s’agissait d’Allemands, et que les bénéficiaires de cette “avancée” étaient des membres de l’équipe Olympique de course de fond pour les J.O. de 1936 ?) eurent l’idée de supprimer la rate, qui constituait, selon eux, un “frein” aux performances potentielles de chacun (elle “ralentirait” le flux sanguin lors de l’effort, en en stockant une partie, et on suspectait qu’elle puisse aussi générer le fameux “point de côté”). Ils donnèrent surtout naissance à une expression bien connue : “courir comme des dératés”
Et effectivement, amputé de la rate, le corps bénéficie d’un plus fort taux de globules rouges, donc d’une meilleure oxygénation, qui permet en théorie de courir plus vite…
Une sorte de dopage par soustraction en somme.
Mais qui dit soustraction (ou suppression dans notre cas) ne dit pas, en général, bénéfice ! La mortalité prématurée des “dératés”, atteints de défaillances cardiaques consécutives à cette modification et plus sensibles aux infections, est très largement supérieure, et il est hautement recommandé de conserver cet organe autant que faire se peut…Et là aussi, nous nous plairons à faire le parallèle avec le notariat.
Les “néo-libéraux” “ubérisateurs” reprochent au notariat, tel qu’il est, de ralentir les transactions, d’être un frein au progrès…Ils veulent donc l’amputer (ne vous y trompez pas, les manoeuvres relatives au tarif n’ont pas d’autre but, c’était déjà celui des promoteurs du tarif de 1978 qui ont vu leurs plans contrariés par la hausse imprévisible de l’immobilier) prenez garde qu’ils n’ouvrent pas toute grande la porte à des “agents pathogènes”, tels que le virus de la “fricardite” et le bacille du “tupurmapum“, dont sont souvent atteints de façon chronique les jeunes loups de la finance du chiffre et du droit ! Ceci pourrait en outre, à terme, briser le coeur de notre bonne vieille société fragilisée par sa quête du bonheur futile, facile et instantané, au mépris de la sécurité…
Nous, notaires, n’y perdrions peut-être pas autant que vous l’imaginez (Je ne parle pas ici de nos collaborateurs, dont le sort, passé les mois de chômage indemnisé, pourrait être moins enviable, hélas !)
Mais vous, “citoyens de France” êtes-vous si sûr qu’ “on” oeuvre pour votre bien ? (Et rappelez vous ce qu’on dit de “on” dans les cours d’école !) Croyez-vous donc que nous nous mettons simplement “la rate au court-bouillon” depuis près de deux ans ? Ouvrez les yeux, il n’en est rien !
Il ne sera pas dit qu’on ne vous en aura pas prévenus…Et comme le disait le même Karl KRAUS : « On doit à chaque fois écrire comme si l’on écrivait pour la première et la dernière fois. Dire autant de choses que si l’on faisait ses adieux, et les dire aussi bien que si l’on faisait ses débuts. »
J’espère sincèrement y être parvenu aujourd’hui, car pour tout notaire, la fin du notariat est également un nouveau début 😉
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