Vous reprendrez bien un peu de Novlangue Printanière ?
N’avez-vous pas remarqué ces derniers temps que le printemps et son cortège annonciateur de promesses de beaux jours arrivent à grands pas ?…De manière plus concise on pourrait dire que le printemps et son cortège annonciateur de promesses de beaux jours arrivent à grands pas…Ou bien encore plus simplement que le printemps et les beaux jours arrivent…Ou plus prosaïquement : Vive le prochain printemps du Notariat !
…Et bienvenue à tous dans le novlangue notarial !
Le novlangue ou autrement dit la langue de bois, qu’est-ce que c’est ?
Selon certains spécialistes tels que Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff et Anne-Marie Chartier, « la langue de bois est omniprésente: dans le discours des hommes politiques ou des diplomates, mais aussi au sein des médias, dans le marketing, la publicité, les sciences ou les stratégies de communication des entreprises.
Elle a plusieurs facettes: il n’y a pas une langue de bois, mais plusieurs, y compris la dernière en date, qui se pare des atours du “parler vrai”.
La langue de bois n’est pas propre au système totalitaire. Elle existe bel et bien en démocratie. Sa spécificité […] est in fine de figer l’imagination et de rendre illusoire la liberté d’expression individuelle. Il faut fournir des moyens pour essayer de comprendre ce que les mots veulent cacher. »
J’ajouterai pour ma part que le novlangue est propre à tout groupe humain pour peu qu’il soit au minimum structuré autour de valeurs ou de règles de fonctionnement communément admises depuis un certain temps.
Le novlangue existait déjà dans l’Ancien Testament et les Evangiles de l’Eglise catholique, apostolique et romaine en sont aussi un criant exemple sans oublier bien entendu la Torah et le Coran.
Chaque catégorie socio-professionnelle produit son propre novlangue avec des caractéristiques particulières en fonction du but à atteindre : les militaires pour le maintien de l’ordre, du calme et de l’obéissance, les enseignants pour la discipline et la transmission des savoirs, les syndicalistes pour la sauvegarde des intérêts catégoriels, puis tout naturellement les journalistes pour la diffusion de l’information et le personnel politique pour…tout un tas de raisons plus ou moins avouables…
Dès que la pensée est codifiée, il y a novlangue, non pas tant parce que les mots ne représentent pas la réalité de la pensée qu’ils sont censés refléter mais plutôt parce qu’au sein du groupe, des groupes plus restreints ont intérêt à codifier la pensée dans un sens qui les servira et les aidera à maintenir leur pouvoir sur d’autres entités alors asservies.
C’est en janvier 1995 qu’Ignacio Ramonet, dans l’éditorial du Monde diplomatique, diffusait une formule qui fera date, celle de « Pensée unique » pour tenter de décrire l’hégémonie particulière de la pensée néo-libérale, qui s’installe là où l’on ne pensait pas pouvoir la trouver, pour envahir in fine l’ensemble du spectre de la pensée socio-politique :
« Englués. Dans les démocraties actuelles, de plus en plus de citoyens libres se sentent englués, poissés par une sorte de visqueuse doctrine qui, insensiblement, enveloppe tout raisonnement rebelle, l’inhibe, le trouble, le paralyse et finit par l’étouffer. Cette doctrine, c’est la pensée unique, la seule autorisée par une invisible et omniprésente police de l’opinion. »
Le terme de novlangue apparait pour la première fois dans le roman de George Orwell, « 1984 », dans lequel est décrit et expliqué notamment le but du Novlangue : « Ne voyez-vous pas que le véritable but du Novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. »
Le notariat français en tant qu’institution normée n’échappe pas à la règle.
Prenons deux exemples récents dans le cadre du prochain printemps notarial :
Le premier concerne le message du Président de la Cour d’Appel de Rennes adressé à ses confrères (je souligne les éléments caractéristiques du novlangue) :
« A tous les notaires de la Cour d’Appel de Rennes
Rennes, le 09 février 2016
Mon Cher Confrère,
Comme je vous l’ai indiqué dans mon message du 13 janvier dernier, le Plan national d’action du notariat sera présenté aux notaires et à leurs collaborateurs, les lundi 21 et mardi 22 mars 2016, à l’occasion du Printemps du notariat.
Je vous invite d’ores-et-déjà à retenir votre agenda pour participer à l’Assemblée générale extraordinaire qui se déroulera à Saint-Brieuc, le lundi 21 mars 2016 de 14h30 à 17h30 au Palais des congrès en présence de Maître Pierre-Luc VOGEL, Président du Conseil supérieur du notariat.
Les convocations à cette Assemblée générale vous seront adressées prochainement par votre chambre départementale. A toutes fins utiles, je vous rappelle que la présence aux Assemblées Générales est obligatoire. Le notaire qui ne peut y assister doit faire connaître au Président de chambre le motif de son empêchement et demander d’être excusé.
Le lendemain, mardi 22 mars 2016, chaque chambre réunira selon des modalités qu’il lui appartient de définir, les collaborateurs de la compagnie pour leur présenter ce plan national d’ action.
Ces deux journées ont pour objectif d’impulser un nouvel élan à toute la profession :
pour lui permettre de s’adapter très concrètement aux impacts de la loi MACRON sur la gestion des offices et la relation clients ; pour se projeter dans l’avenir, croire à sa pérennité et à son développement ; pour l’aider à accompagner les mutations sociales ; et pour continuer à faire la preuve de son utilité au service des Français.
Le 21 mars, nos travaux s’articuleront en deux parties. La première partie sera centrée autour de la présentation des conséquences directes de la mise en application de la loi MACRON sur le fonctionnement des offices et sur toutes les questions à se poser pour anticiper au mieux les modifications de notre tarif. La seconde partie sera consacrée à la présentation du Plan national d’action destiné à montrer ce vers quoi doit tendre le notariat en proposant des solutions et des outils pour atteindre ces objectifs.
Un kit de présentation réalisé pour l’occasion par les services du Conseil supérieur du notariat sera présenté et commenté à tous les élus le 9 mars prochain, lors d’une réunion au CSN. Je ne manquerai pas de revenir vers vous le moment venu pour vous préciser le programme de notre assemblée du 21 mars 2016,
Je vous prie de croire, Mon Cher Confrère, à l’assurance de mes sentiments dévoués.
Le Président, “
Déjà sur le plan formel, on peut noter “l’invitation” à se rendre aux journées printanières tout en relevant quelques phrases plus loin le rappel de l’obligation professionnelle qu’a chaque notaire d’y marquer sa présence : formule de style ou abus de langage, peu importe car ici l’invitation revêt un caractère coercitif dans un but vraisemblablement d’intérêt général – nous dira-t’-on – de la profession qui ne doit parler et agir qu’à l’unisson.
Les bases d’une pensée unique sont d’ores et déjà jetées !
Car en effet l’on enjoint le notaire de base à venir écouter la bonne parole venue d’en haut !
Le reste des phrases surlignées est un modèle de novlangue :
La première est en effet une phrase creuse qui ne veut rien dire de concret : …/…pour objectif d’impulser un nouvel élan à toute la profession : elle voudrait être le synonyme d’un nouveau dynamisme insufflé d’en haut comme prélude à une ère nouvelle mais n’est que le révélateur d’un constat d’échec dans la lutte de la profession contre la loi Macron.
La suite du texte n’est que la démonstration de la soumission pure et simple de la profession à ladite loi éponyme :
“pour lui permettre de s’adapter très concrètement aux impacts de la loi MACRON sur la gestion des offices et la relation clients ; pour se projeter dans l’avenir, croire à sa pérennité et à son développement ; pour l’aider à accompagner les mutations sociales ; et pour continuer à faire la preuve de son utilité au service des Français.”
Cette partie est la plus révélatrice du véritable sens du texte. A l’instar de la grand-messe du 20 heures sur TF1 ou France 2 où l’on vous sert des moments choisis de vérités bien et préalablement peaufinés, vous devez comprendre de manière plus ou moins consciente – et l’on tente de vous faire croire – que tout a été fait mais que rien n’y a fait et que, donc, le moment est maintenant venu d’accepter et de s’adapter puisque tout aurait été tenté…en vain !
Un entretien télévisé pour rien, une réunion professionnelle pour rien : on sait déjà ce qu’on va y entendre : des banalités et des solutions éculées; mais l’essentiel est ailleurs : il réside dans l’image que donnera la profession, unie tout entière derrière ses chefs et prête à affronter l’adversité née d’un monde nouveau et globalitaire (contraction de “globalisé” et de “totalitaire”).
Et pour vous faire croire que tout a été essayé, on utilise la novlangue.
Changer la lettre pour modeler l’esprit, affirmer de manière péremptoire que tout a été tenté; mieux encore, le laisser penser sans en prononcer la phrase et passer à autre chose : la guerre est finie, l’armistice est demandée !
Si j’osais une comparaison – et je l’ose – je rapprocherais – toutes proportions gardées – cette rhétorique de celle qui fut employée par le Maréchal PETAIN lors de son discours du 17 juin 1940 dans lequel il demandait de cesser le combat ; celui-ci conclut alors son discours par cette phrase restée célèbre pour les amateurs de langue de bois :
…/…Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside durant ces dures épreuves, et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur Foi dans le destin de la Patrie. »
Reprenons-la à notre compte et cela donne : “Que tous les Notaires se groupent autour du CSN que je préside durant ces dures épreuves, et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur Foi dans le destin de la Profession. »
Vous voyez, la novlangue : c’est simple !…et interchangeable !
Le second exemple concerne une lettre adressée aux confrères par le Conseil Régional des Notaires du Nord Pas de Calais (j’ai surligné de la même manière les passages novlangues):
“Mes Chers Confrères,
Vous avez été informés de la tenue d’une assemblée générale extraordinaire de nos deux compagnies le 21 mars 2016 et d’une réunion d’information à destination de nos collaborateurs le 22 mars 2016. Certains d’entre vous se sont émus de l’absence d’informations concernant le contenu de ces réunions et peuvent être tentés de considérer qu’elles sont prématurées voire inutiles.
Il n’en est rien. Les négociations avec les ministères sont en cours et vont se terminer par la publication des textes qui vont régir notre profession, au moins pour les deux années à venir.
Il est au contraire primordial que l’ensemble des notaires et ensuite des collaborateurs soient informés des évolutions que notre profession va devoir gérer, voire anticiper.
Des commissions travaillent depuis plusieurs mois sur les mutations que devra subir notre profession, et de leurs travaux résulteront des propositions concrètes qui déboucheront sur un plan national d’action de notre profession. C’est ce plan national qui sera présenté les 21 et 22 mars prochains.
Il est indispensable que nous soyons tous réunis pour d’une part anticiper l’application des mesures résultant de la réforme, et d’autre part mettre en place les actions qui vont nous permettre d’évoluer pour profiter de l’avance dont nous disposons sur le numérique notamment.
Mais au-delà même des dispositions de la loi dite “Macron”, notre société va connaitre de profondes mutations, que nous pouvons regretter, mais qui sont réelles et que nous devrons donc assimiler. Sachez que les autres professionnels partagent nos craintes: avocats, experts comptables, huissiers, médecins et s’interrogent sur leur avenir.
Nous n’allons pas assister à notre propre « enterrement » mais tenter de vous apporter des solutions concrètes pour diminuer nos coûts de production tout en sauvegardant les vertus de l’authenticité. Pour cela, il nous faudra être inventifs et garder une vision commune de notre profession.
Ces journées seront également les vôtres. Nous en profiterons pour vous apporter également une information sur les évolutions de nos sociétés d’exercice en vue de favoriser le partage des coûts, des compétences.
Nous vous attendons les 21 et 22 mars prochain pour en débattre.
Bien confraternellement,”
Comme par extraordinaire, on commence par “s’émouvoir” de l’émotion de certains confrères face à l’absence d’information quant au contenu de ces réunions…et l’on pense alors légitimement en apprendre davantage à ce sujet au fur et à mesure de la lecture du texte…
Que nenni !
Dans cet exemple, la singularité de la novlangue et donc son exemplarité, est de vous porter à croire qu’au final vous avez été renseigné sur le contenu des réunions de mars prochain alors que l’unique message à assimiler réside dans ce seul petit bout de phrase : “garder une vision commune de notre profession”…Toujours le même souci d’unité derrière les chefs. Le surplus du texte n’est qu’un habillage creux, terne et sans aucun intérêt de cette idée centrale d’unité autour du chef (au temps de Georges Marchais, on appelait cela le “centralisme démocratique”).
Notons tout de même au passage :
– la mise “en place des actions qui vont nous permettre d’évoluer” : l’évolution c’est le changement, et le changement, c’est l’aggravation; car ici, le terme “évoluer” doit être pris dans son acception “novlangue”, c’est-à-dire admettre l’aggravation et la dégradation de nos conditions de travail puisque de toutes façons nous n’avons pas -disent-ils- d’autres choix. L’évolution sans qu’on s’en donne réellement les moyens, c’est la résignation !
– …/…“que nous devrons donc assimiler” : toujours le même message subliminal de résignation mais dans l’unité;
Et si l’union prônée à tout crin était plutôt la promesse d’une division qui ne veut pas dire son nom (normal puisque c’est de la ou du novlangue !)…Vous me suivez ?
L’un des buts de la novlangue est en effet d’affirmer une chose pour parvenir à son contraire.
A titre d’exemple, l’interprofessionalité ne serait-elle pas le prémice de l’individualisme, du chacun pour soi, à l’heure où la bonne expression de “vivre ensemble” n’a jamais si bien reflété l’égoïsme et le repli sur soi exacerbés de notre société ?
Certains d’entre nous y trouveraient certainement leur compte !
– Et pour terminer ce passage en revue : …/…”tout en sauvegardant les vertus de l’authenticité. Pour cela, il nous faudra être inventifs et garder une vision commune de notre profession.”
Il y avait en effet longtemps qu’on avait entendu parler de l’authenticité, la valeur suprême de la profession, valeur sans laquelle elle ne serait rien et au mieux rangée au même niveau que les autres professions connexes du droit à l’exception de la magistrature qui, à elle seule, incarne le troisième pouvoir décrit par Montesquieu.
Car sans la transcendance de l’authenticité, la profession notariale n’est rien. C’est en tout cas encore une fois ce qu’on tente de nous faire croire.
L’authenticité est un concept creux et dénué d’intérêt (presque novlangue) si on ne le rattache pas à l’humain : il n’est d’authentique que ce que l’humain reconnaît comme tel : sauvegarder les vertus de l’authenticité, c’est sauvegarder les notaires, tous les notaires sans exception au bénéfice de tous leurs clients sans exception non plus : c’est ni plus ni moins la définition du service public de l’authenticité car à défaut, et à terme, rien n’empêcherait de concevoir une machine authentifiant un acte juridique !
Et pour parler d’authenticité, il faut parler vrai …sans novlangue, sans tabous, sans idées creuses et sans pensée unique. Il faut admettre les divergences d’idées et d’opinions afin d’enrichir le débat et de progresser pour le bien de tous notamment sur les sujets cruciaux et jamais réellement abordés que sont le tarif et la gouvernance.
Il faut s’en donner les moyens et ne pas se payer de mots !
Pour terminer, voici comment, au début de cette crise, je concevais le printemps notarial (et je ne pense pas être le seul !) à l’aube de l’hypothétique levée de la Grande Armée du Notariat, en reprenant tout simplement la fin du Roman de Zola : “Germinal”:
“…/…Du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s’allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d’un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s’épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s’ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l’astre, par cette matinée de jeunesse, c’était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre.”
Germinal – Emile Zola – Septième partie – chapitre 6
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