Une question pertinente
Parmi les nombreuses réactions de sympathie (et d’antipathie, mais elles sont très très peu nombreuses) reçues à la suite de notre premier mailing national, une question nous a semblé mériter une réponse publique sur ce site :
Question: Qu'advient-il lorsque l'un des gouvernements libéraux qui nous gouvernent à tour de rôle, décide d'un trait de plume de modifier le périmètre de l'authenticité obligatoire? La publicité foncière par exemple!
Bien entendu, ce paramètre a été pris en compte dans notre raisonnement !
Jusqu’à présent, en raison d’abus de langages déjà dénoncés : “Tarif des notaires” pour le décret de 1978 et “Le notaire c’est l’acte authentique” dans la communication institutionnelle notariale des 20 dernières années, on a confondu la fonction avec le professionnel et reproché à ce dernier ce dont il n’était pas du tout responsable : son coût.
La profession étant représentée majoritairement par des notaires aisés, entourés de permanents qui ignorent, totalement, ce que peut être l’exercice effectif de la fonction, on a institutionnalisé la défense du domaine réservé comme un “combat de défense des intérêts de la profession”. Il s’agissait surtout et avant tout de ne pas donner l’impression de préserver des “privilèges“, et on a donc tout accepté, et, sous les deux principes d’ “unité de la profession” et de “devoir de réserve” on a demandé aux notaires défavorisés par le sort de souffrir en silence…
Les suppressions, directes ou indirectes, mais toujours prétendument compensées par la hausse des prix de l’immobilier (inégalement répartie sur le territoire national) ont été nombreuses…
“Interdiction” (rappelons que le CSN n’a pas en lui-même pouvoir normatif et n’est pas représentatif) de la rémunération de l’avant-contrat ssp rédigé par un notaire.
Suppression des émoluments d’ouverture de donation entre époux et testament.
Dispense de déclaration de succession pour les patrimoines n’excédant pas un montant décidé par l’administration (mais qui n’est découvert qu’après avoir fait l’instruction complète du dossier !)
Suppressions démagogiques, validées par les membres du CSN en vertu de LEUR revenu, et chacun sait bien que la disponibilité nécessaire pour ce “sacrifice” que constitue la prise en charge d’une fonction dans les instances n’est pas – sauf exception – à la portée de petites ou moyennes Etudes.
Mais notre approche est toute autre !
Si nous défendions (comment faire autrement) le professionnel, nous pourrions être considérés comme des corporatistes qui défendent un “domaine réservé” qu’ils détiendraient sans aucune raison objective…Ce que nous défendons, tout au contraire, c’est le principe d’un service public notarial et à travers lui l’intérêt général (c’est à dire, sauf erreur, en démocratie, l’intérêt du plus grand nombre).
La solution que nous prônons est à la fois conforme à la définition de notre activité (celle énoncée par le Conseiller REAL qui demeure d’un actualité brûlante puisqu’il n’y aura jamais tant eu, nous le constatons chaque jour d’ “hommes cupides”) et aux principes fondateurs de notre République.
Défendre l’authenticité, ce n’est rien d’autre que défendre la sécurité, concept très en vogue et qu’on a toujours eu le tort de négliger sous prétexte de “simplification”, de “liberté”. Plus que jamais, les législations sont aujourd’hui complexes, plus que jamais les obligations des uns et des autres nécessitent d’être clairement expliquées, soigneusement rédigées et pleinement garanties. Plus que jamais nos concitoyens ont besoin de points de repère fiables, de racines profondes…La quête de l’authenticité s’arrêterait elle aux matériaux nobles et aux légumes oubliés ?
J’en doute, pas vous ?
Ah bien sûr, on nous vante le modèle anglo-saxon et sa souplesse, on tente de culpabiliser ceux qui se réclament d’un passé révolu…Et à cet effet, on ne se prive pas de raccourcis ! Ainsi “les marchands de chevaux” n’auraient pas été indemnisés par les “vendeurs de voitures”…Parfaitement vrai, mais les marchands n’indemnisent pas les marchands, et toute la difficulté est précisément de déterminer quels sont les services essentiels et de poser en postulat de base qu’ils doivent être préservés, entourés de sécurité.
Certes, les avocats notamment, mais de nombreux autres professionnels sont aujourd’hui bien formés, et arguent de leur compétence parfaitement admissible pour nous contester le droit de les empêcher de faire ce qui nous est réservé. Outre le fait qu’ils omettent qu’en contrepartie de notre “domaine réservé” nous sommes limités dans notre propre liberté d’action (nous sommes des loups, nous aussi, et comme le disait une vieille chanson, “on ne tient pas les loups en laisse, c’est encore pire si tu les blesses”, nous avons accepté de porter un collier, on ne nous a pas apprivoisés…), ils passent sous silence l’une des qualités particulières de la fonction : nous n’avons pas de client (encore que certains notaires sont persuadés du contraire) les clients ont le libre choix du notaire, et quand bien même les notaires seraient plusieurs à “concourir” ou “participer” à un même acte, chacun d’entre eux doit un conseil précis complet et objectif à l’ensemble des parties ! Tout autre professionnel est au service de celui qui le paie le notaire est aussi au service de celui qui ne le paie pas…
A l’époque où le mot médiation connait un réel essor, notre rôle et l’objectivité la neutralité et la bienveillance qui s’y rattachent serait donc “has been ?”
Je suis sûr du contraire, pas vous ?
C’est donc aux notaires qu’il appartient maintenant de communiquer intensément sur les fondements de leur métier, l’utilité sociale qu’il représente, la différence fondamentale qui fait que notre système convient à ceux qui l’ont établi, tout autant que la common-law convient à ceux qui baignent depuis toujours dans ce système.
La liberté triomphante qui fut offerte aux Etats Unis et se dresse dans le port de New-York n’a pas été accompagnée du mode d’emploi. Lorsque nous, Français, et eux, Américains, employons ce mot nous évoquons deux systèmes très différents…
La liberté à l’américaine, comme la médecine occidentale prévoit le traitement des maladies du droit, on s’assure contre le risque, on “tente” des traitements pour rétablir ce qu’on a perdu, et tant pis si la bataille est perdue. C’est la mentalité des pionniers, la libre entreprise, le rêve américain…Il suffit de voir l’état de la ville de Détroit pour en comprendre les défauts : les faibles n’ont aucun moyen de lutte contre les armées d’avocats que sauront leur opposer les forts…Si le latin est utilisé, c’est pour dire VAE VICTIS(1).
La liberté à la française est toute autre, comme la médecine traditionnelle chinoise elle traite le sujet lorsqu’il est en bonne santé pour prévenir la maladie, et le médecin est responsable, et doit -à ses frais- traiter le mal qu’il n’a pas su prévenir. Un système basé sur l’équilibre et le respect, qui devrait conduire à une “paix sociale” si il était convenablement réglé, et si les dérapages et débordements étaient réellement sanctionnés. Lorsque nous nous référons au latin c’est pour crier SALUS POPULIS SUPREMA LEX ESTA(2).
Si les gouvernements envisagent régulièrement de “supprimer le recours obligatoire au notaire” c’est qu’ils ignorent presque tout de ce que nous sommes. Au lieu de les “éblouir” avec une fausse modernité, nous n’avons pas su démontrer l’utilité profonde de notre présence…
Chaque recul accepté s’est fait au détriment du citoyen, et lui a été présentée comme un “bienfait”.
Depuis des années, nos concurrents (dont nous avons parfois stupidement, parfois sous la contrainte laissé fuir l’activité qui pourtant était nôtre, et qui prétendent aujourd’hui que nous les empêchons de travailler et sommes un frein à la “simplification” et à la “liberté”) soulignent nos défauts et minorent les qualités de notre fonction, et nous avons laissé faire.
Lorsqu’on dit qu’on va “diminuer les frais de notaire” le petit peuple est heureux, car il pense que cette diminution se fera à son profit, les gens plus aisés sont satisfaits car ils jalousent nos revenus, mais s’ils prenaient le temps d’y penser, tous devraient comprendre que les seuls bénéficiaires seront les requins qui oeuvrent depuis des années à faire sauter le verrou de la cage protectrice que nos ancêtres ont conçue patiemment…
Le système que nous proposons est un cercle vertueux. Tous sont “contraints” à utiliser les services d’une profession qui exerce une fonction déléguée par l’Etat de régulation et sécurisation, mais seuls ceux qui l’utilisent paient pour ce service, et tous paient proportionnellement à l’intérêt qu’ils en retirent un coût identique. Chacun, au gré des bonnes ou mauvaises fortunes, et des grosses ou petites opérations sera tantôt contributeur, tantôt bénéficiaire du système de lissage, chacun demeurera libre de choisir le professionnel qui lui convient (et nous savons tous que c’est très relatif) et non celui que ses moyens lui imposent (et nous savons tous que le prix n’est pas garant de qualité)
L’Egalité devant le service public est absolue (en pourcentage, nationalement) le coût pour l’état est nul (en période de réduction des déficits c’est appréciable) et la garantie est totale…
Supprimer un tel outil au profit d’un système purement mercantile serait une aberration de même nature que si subitement après avoir imposé normes, contrôles techniques, limitations de vitesse, ceinture de sécurité, contrôles d’alcoolémie etc le gouvernement s’exclamait subitement “au nom de la liberté, maintenant sur les routes de France c’est chacun pour soi et tout est permis”
Bien sûr, les avocats, les assureurs, les banquiers, les agents immobiliers, et autres conseils de tous poils ou plumes nous voient comme un frein à leur expansion, mais doit on sacrifier la sécurité juridique au profit de la liberté économique ?
Un système tarifaire équilibré est la condition même de la survie d’un tarif
Un tarif clair, public, nationalement unique et ne tolérant aucune remise est la condition absolue d’un véritable service public. La rémunération du professionnel n’est pas le tarif, et c’est de là que découlent tous nos soucis.
Créons ce tarif, mettons-le en application s’il est conforme à nos espoirs (et tout laisse à penser qu’il le sera) et si l’Etat venait ensuite à vouloir supprimer le “domaine réservé” il serait aisément démontrable que le peuple a tout à y perdre. Aujourd’hui, on lui fait accroire qu’il a tout à y gagner.
Et si malgré tout, les politiques à la botte d’un système financier devenu fou décidaient de mettre fin à l’authenticité obligatoire ? L’hypothèse n’est pas absurde, mais n’est-ce pas le risque que nous courrons déjà actuellement ?
Le tarif actuel, et les comportements qu’il génère, mais aussi la vénalité des charges et les jalousies qui en découlent (le projet que nous portons comporte également une hypothèse de sortie “non létale” de cet autre piège) sont les causes essentielles (les autres n’étant pas au fond si déterminantes) des attaques que nous subissons depuis plus de trente ans.
Réformons-nous, en proposant mieux, devenons incontournables, exemplaires (et pas de fausse modernité ou positions affectées !), et le spectre de la “libéralisation totale” s’éloignera durablement.
Persistons dans les erreurs actuelles et passées, et il y a tout lieu de penser que le notariat tel que nous l’aimons et défendons aura vécu, et avec lui, le dernier verrou contenant les invasions “barbares” (quelle différence entre les rapines des hordes barbares et la mentalité des raiders, traders, banksters : je veux, je prends, et si je dois tuer ou laisser mourir, la fin justifie les moyens) à l’écart de ce qui reste de notre “civilisation”.
L’heure est venue de résister. Et si pour certaines “résister, parfois, c’est partir” pour nous Res-Iste, c’est rester, et frapper, sans faiblir.
(1) Malheur aux vaincus
(2) Que le salut du peuple soit la loi suprême
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